Les jeunes Comoriens à l’ère du numérique et des mutations sociales

18/08/2023

Cet article examine les usages technologiques de la jeunesse comorienne et les implications sociales qui en découlent. Il met en lumière les bouleversements rapides liés à l'essor du numérique aux Comores et analyse comment ces changements influencent les dynamiques sociales et politiques du pays.

L'article met notamment en évidence les effets de l'utilisation d'Internet et des réseaux sociaux sur les comportements des jeunes. Il s'interroge aussi sur la manière dont ces outils technologiques redéfinissent les rapports à la tradition et au pouvoir politique.

Quelle problématique soulève cet article ?

La question centrale de cette étude s'inscrit dans une réflexion sociologique novatrice : comment situer le jeune Comorien dans l'organisation sociale, spatiale et politique actuelle du pays ? L'auteur cherche à élaborer une lecture sociologique propre à ce contexte, afin de mieux saisir l'impact profond des technologies numériques sur la société comorienne contemporaine.

Méthodologie de l'enquête :

1. Un questionnaire distribué dans les trois îles principales de l'archipel comorien

Une même méthode de collecte a été adoptée dans les villes de Moroni (Grande Comore), Fomboni (Mohéli) et Mutsamudu (Anjouan). Le questionnaire, structuré autour de trois grands thèmes — l'usage, l'appropriation et la perception du numérique — comprend 20 questions.

  • Les six premières interrogent le profil personnel et le parcours éducatif ou professionnel des répondants.

  • Les questions 7 à 13 portent sur les habitudes numériques et la perception des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans le quotidien des jeunes.

  • Enfin, les huit dernières explorent les effets d'Internet sur leur vie et leur environnement social.

Le choix des villes a été guidé par un critère précis : elles devaient toutes compter plus de 7 000 habitants et présenter une diversité notable sur les plans culturel et social.

L'échantillonnage a été construit de façon probabiliste. Une méthode de quotas (basée sur le genre, l'âge, le niveau d'instruction et le statut professionnel) a été appliquée pour garantir une représentation équilibrée des participants selon les îles.

La collecte des données s'est faite via des entretiens en face-à-face. Trente-cinq jeunes enquêteurs issus des trois îles ont été mobilisés tout au long de l'étude pour administrer les questionnaires. Grâce à cette organisation, un taux de réponse élevé a été atteint : 77,44 %, comme le montre le tableau ci-dessous.

Pour traiter et analyser les données recueillies, nous avons utilisé le logiciel SPSS (Statistical Package for the Social Sciences), un logiciel créé par IBM (International Business Machines Corporation), société multinationale américaine travaillant sur les services informatiques.

2. Des observations secrètes réalisées à Moroni.

En plus de notre enquête par questionnaire, nous avons réalisé une enquête complémentaire et mystère fondée sur 25 observations systématiques dans des Cyber Internet à Moroni (12 hommes et 13 femmes).

Cette étape additionnelle visait à construire une perspective des utilisations d'Internet parmi les jeunes en se basant sur leurs lieux de pratique. L'objectif global de ces observations consistait à vérifier et à affiner les réponses fournies dans le questionnaire. La méthodologie adoptée était simple. Nous avons créé deux comptes Facebook et deux adresses e-mail au nom de "Mdjandro" (féminin) et "Msoma" (masculin). Nous avons ensuite visité huit différents cybercafés Internet, en utilisant à chaque fois les identifiants correspondants, en prétendant ne pas savoir comment utiliser l'e-mail ou Facebook. Nous avons sollicité l'aide des jeunes présents, en particulier des individus âgés de 18 à 28 ans, en prétendant notre ignorance. Nous leur demandions de nous guider à travers les fonctionnalités. Pendant ces échanges, un autre membre de notre équipe capturait discrètement des vidéos à l'aide de caméras cachées. Après avoir analysé l'ensemble des vidéos, nous avons aligné les informations recueillies avec les données provenant du questionnaire.

3. Des analyses des contenus de groupes et profils Facebook, effectuées.

Pour établir une connexion significative entre les usages d'Internet chez les jeunes et la situation actuelle du pays (la vision 2030 de l'émergence, reflétée dans les assises nationales de décembre 2017, ainsi que le plan énergétique d'urgence), nous avons entrepris une analyse des contenus de cinq profils Facebook que nous avons sélectionnés en fonction de trois critères : l'âge, l'engagement de la personne envers l'actualité du pays, et les réactions de ses amis envers ses publications. Nous avons également examiné quelques discussions collectives au sein de groupes Facebook, notamment un groupe rassemblant 39 002 membres pendant l'enquête. La sélection de ces groupes s'est basée sur la participation active des jeunes aux débats. Notons que près de 70% (soit 27 300 membres des groupes analysés) avaient moins de 35 ans.

L'objectif premier de cette démarche était de décrypter la manière dont les jeunes perçoivent la politique d'émergence à travers les réseaux sociaux. Dans un second temps, nous souhaitions vérifier l'hypothèse selon laquelle cette jeunesse est largement exclue des activités traditionnelles de la région et n'est pas considérée comme un moteur de développement pour le pays. Pour ce faire, nous avons utilisé l'outil Grytics pour analyser la portée et les impacts des contenus au sein de ces espaces d'échanges collectifs. Grytics est une plateforme qui nous a permis d'explorer les publications de profils ou de groupes Facebook. Grâce à cet outil, nous avons identifié les publications les plus vues et les plus commentées, ainsi que les heures de plus forte activité au sein de ces communautés. Nous avons ainsi constaté que les jeunes Comoriens s'expriment de manière plus marquée sur les réseaux sociaux (Facebook) que dans les espaces publics.

Ces trois méthodes, que nous croyons être les premières à avoir été employées aux Comores (du moins jusqu'à présent), ont rencontré du succès dans notre étude. Nous avons découvert objectivement des éléments nouveaux qui peuvent nous aider à tracer les trajectoires de cette jeunesse en analysant leurs pratiques à la lumière des contextes sociaux, culturels et politiques. De plus, nous avons établi des liens entre ces utilisateurs du numérique (Internet) et leur compréhension de l'environnement sociétal (la société comorienne). Ceci est en ligne avec le concept sociologique majeur appelé « l'affordance ».

Les résultats :

1. Une jeunesse ultra-connectée:


D'une manière générale, les conclusions tirées de notre enquête indiquent que les jeunes Comoriens adoptent une utilisation d'Internet excessive, marquée par des comportements préoccupants qui pourraient potentiellement conduire à des phénomènes de dépendance. À l'heure actuelle, environ 70% d'entre eux consacrent en moyenne 5 heures par jour à Internet. Cependant, contrairement à d'autres pays comme le Bénin ou le Sénégal, l'utilisation d'Internet par les jeunes Comoriens ne se focalise pas sur leur vie professionnelle. Peu d'entre eux affirment s'y connecter pour des motifs éducatifs, informatifs ou liés à leur carrière. Leurs principales motivations restent la communication avec leur famille en France (diaspora) et le maintien de liens avec leurs amis.
Parmi les participants à notre enquête, près de 75% sont des étudiants. Les 25% restants se répartissent entre lycéens (18%), employés (9%) et collégiens (4%).
En ce qui concerne leur équipement numérique personnel, la quasi-totalité des répondants possède au moins un téléphone portable (83,6%), tandis que 47% déclarent posséder un ordinateur portable. Uniquement 10,2% possèdent un ordinateur de bureau, et une petite proportion (5%) possède une tablette numérique. De plus, nombreux sont ceux qui utilisent des ordinateurs de bureau sans accès à Internet en raison de ressources financières limitées, ce qui empêche leurs foyers d'être connectés aux réseaux locaux. Ceux qui utilisent des ordinateurs portables et des tablettes profitent souvent du Wifi gratuit et non sécurisé offert par certaines institutions, tandis que ceux qui utilisent des téléphones portables sont connectés aux réseaux 3G ou 4G.
Notre enquête met également en lumière que les habitudes numériques se ressemblent au sein des familles comoriennes. Cela est illustré par le graphique ci-dessous, montrant que la majorité des répondants (820 sur 1123 jeunes) partagent des équipements similaires avec au moins un membre de leur famille. Environ la moitié possède les mêmes appareils que leurs frères et/ou sœurs, tandis que d'autres partagent les mêmes dispositifs que leur mère/père (17%) ou que leurs cousins/cousines (33%).
De plus, la plupart du temps, 58% des jeunes que nous avons observés et interrogés dans les cybercafés (un groupe de 15 jeunes) indiquent qu'ils se connectent en groupe.
Monsieur AD et Monsieur CI, âgés respectivement de 18 et 24 ans, partagent leurs expériences :Question : en dehors du Cyber vous vous connectez par quels moyens ?


Mr AD: [moi par mon téléphone, j'ai deux cartes SIM : Telma pour la connexion et ComoresTelecom pour les appels. Si je n'ai pas de crédit de connexion, je cherche des amis de mon quartier pour descendre à la place de l'Indépendance. Car là-bas tous les bâtiments administratifs publics possèdent du WIFI non sécurisé. On peut s'y connecter comme on veut.
Parfois ça bug mais tant qu'on est ensemble, avec les amis et les frères, on reste jusqu'à tard la nuit. ]


Mr CI : [si je suis avec un ami de l'école je passe plus de temps que quand je me trouve seul ou avec d'autres jeunes que je ne connais pas. Un jour j'ai resté au building jusqu'à 2H30 du matin]

Pour lire la totalité de l'article et accéder aux conclusions de cette enquêtte, envoyez un email à contact@comorestice.com

Cet article est rédigé par Nour Fahad, Concepteur des projets de rénovation pédago-didactique et actuellement doctorant en science de l'éducation au CURAPP-ESS-UMR 7319